Retour aux 90km/h sur le réseau primaire

Une décision à contre-courant

Pourquoi nous n'avons pas voté cette proposition.

Délibération

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Le Conseil départemental :
- prend acte du contenu de l’étude d’accidentalité portant sur le réseau routier primaire,
- se prononce favorablement sur les propositions contenues dans le dossier et qui seront présentées à la Commission Départementale de la Sécurité Routière.

Rapport

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Débat et vote

Nos interventions lors du débat

L'esprit du temps
M. Barthelet – Président, nous en avons longuement débattu en commission et j'ai essayé de mûrir ma réflexion de puis nos échanges en commission.
Donc voici quelques éléments, sachant que je vais aussi essayer de m'adresser aux collégiens au passage. Vous parliez de l'aspiration. On dit souvent, dans les cours de philosophie, mais c'est plutôt pour la terminale, qu’il faut réconcilier ce qui s'appelle le Zeit-Geist, que nos amis allemands appelaient le Zeit-Geist, c’est-à-dire l'esprit du temps. Quel est l'esprit du temps aujourd'hui ?
M. le Président – Si vous le savez, il faudra me téléphoner, vous aussi !
L'histoire est parfois cyclique
M. Barthelet – Cette définition, elle s’oppose souvent aussi à une autre conception qu'on apprend déjà un peu plus tôt, c'est la vision des Lumières qui est une vision progressiste du progrès où on doit prévoir le futur et se projeter dedans. Aujourd’hui, j'ai l'impression que ces deux éléments se rejoignent pour revenir dans un autre temps de l'histoire. Et là, on va faire un cours d'histoire, cette fois.
On voit que l'histoire n’est jamais linéaire. Le premier vice-président l’a presque rappelé tout à l'heure, elle est parfois cyclique. Si vous reprenez les débats que nous avons eus dans notre institution en 1902, il y a donc 120 ans maintenant, on avait émis à ce moment-là un vœu pour limiter la vitesse des automobiles à 10km/heure en agglomération et à 25km/heure... Il y avait eu un débat. À 20km/heure, ce n'était pas passé. À 25km/heure, on avait voté pour la limitation hors agglomération. En 1904, on est sur une autre époque, on était sur le début de l'industrie automobile. En 1904, on dit que la France est un grand pays de l'automobile, l’automobile est un outil de libération sociale, un outil d'émancipation, un outil industriel qui fait travailler de nombreuses personnes. Du coup, à ce moment-là, la position de l'assemblée avait été de dire que deux ans auparavant, elle avait voté le contraire et là, cela avait été remis en commission.
Ensuite, s'en est suivi toute une vague qu’a très bien décrite aussi notre vice-président tout à l'heure, où l'automobile a globalement remplacé les chevaux qui, à cette époque, étaient d'ailleurs jugés plus dangereux que l'automobile parce que c'était plus dur de freiner des chevaux à 20km/heure qu'une voiture, et on est arrivé au tout automobile. Mais quand je dis que l'histoire n’est pas forcément linéaire et qu'elle est parfois cyclique, c'est qu’on peut arriver à la fin d'une phase et au début d'une autre. C'est le cas, notamment quand on dit aujourd'hui qu’un certain nombre d'aspirations populaires sont aussi pour avoir privilégié d'autres modes de transport que l'automobile. Là, c'était pour le cours de philosophie et le cours de... du moins sans vouloir donner de leçons, donc pour le souvenir historique et le souvenir philosophique.
Un message envoyé en inadéquation avec l'esprit du temps
Maintenant, ce qui me dérangeait principalement et ce que j'avais dit en commission, c'est aussi le message que nous envoyons. Est-on en adéquation avec le futur que l'on doit prévoir ou avec l'esprit du temps qui est ressenti par nos concitoyens ? C'est là où je suis le plus gêné parce qu’on est aujourd'hui dans un esprit immédiat du temps où on doit réduire notre dépendance au gazole. Et là, je ne vous sors pas le programme de Jadot à la présidentielle, je vais vous sortir les propositions de l'agence internationale de l'énergie qui nous a sorti la semaine dernière 10 mesures pour réduire notre dépendance énergétique.
La première, pour économiser 430000 barils, réduire de 10km/heure la vitesse sur les autoroutes, passer de 130 à 120 ou autres. 500000 barils économisés si on fait du télétravail trois jours. 330000 barils économisés par jour si on fait du vélo, des transports en commun ou de la marche. C'est ce qui me fait dire que l'esprit du temps est en train de changer, donc quand même l'agence internationale de l'énergie propose - et ce n'est pas Jadot, c'est l’AIE - 10 mesures qu'il faut faire pour réduire le nombre de barils consommés. Et dedans, on a bien l'idée qu’il faut tout de même que l'on soit au bon niveau pour réduire notre dépendance énergétique en termes de gazole, d'autant plus aujourd'hui avec la guerre russe.
Je ne parle pas de la préservation de notre planète qui fait partie aussi de l'esprit du temps. Du coup et encore une fois, ce sont les modes doux qu’on encourage d'un côté et, de l'autre côté, qui impliquent que, demain, on devra partager la route.
Un outil d'émancipation sociale devenu un outil d'asservissement
Ça, c'est le message qu'on envoie et je ne voudrais pas être taxé de combat des urbains contre les ruraux parce que je me considère comme un rural. Et comme je vous le disais, je considère aussi que la voiture est bien un outil d'émancipation sociale. Elle l'a été tout le siècle dernier, elle l'est encore aujourd'hui. Mais aujourd'hui, elle a presque l'effet inverse. C’est-à-dire que ce qui était, hier, un outil d'émancipation devient aujourd'hui un boulet au prix du gasoil actuel et au prix du gasoil peut-être de demain. C’est-à-dire que cela devient une dépendance. Une dépendance de tout le monde, une dépendance énergétique pour les nations, mais aussi, pour les personnes, une dépendance à un outil qui creuse les budgets. Ce qui était, hier, un outil d'émancipation pourrait donc devenir un outil d’asservissement à «je dois faire la route, consommer du gasoil, faire le plein, me ruiner à faire le plein». Quand on a le débat sur «redonner de la liberté et répondre aux aspirations des gens»,  j'ai l'impression que l'aspiration, c'est plus à retrouver de la liberté et ne plus être asservi par le prix à la pompe plutôt que de retrouver la liberté de rouler comme on le faisait avant, d'autant plus qu’il me semble aussi que, globalement, on s'était fait aujourd'hui à cette limitation.
Beaucoup de pertes pour peu de gains
Tout cela pour quel gain ? 30 secondes sur Lons-Voiteur et la D70 que l'on va repasser à 90. On va gagner 30 secondes, on va perdre 0,10€. Pour quelle perte ? Et c'est là où on va faire cette fois un cours de physique et de mathématiques. Mais c'est pareil,  je crois que c'est plutôt au programme de seconde, donc désolé par avance pour les collégiens, mais ceux qui sont en 3ème s'y intéresseront peut-être. À un moment, les lois physiques sont terribles. L'énergie cinétique d'un véhicule en déplacement est proportionnelle au carré de la vitesse, c'est la loi physique (Ec= ½mv²). Que veut dire ½mv² ? Cela veut dire que pour chaque 10km/heure de vitesse supplémentaire, on fait x10. En mathématiques, la courbe carrée, c'est une hyperbole (ndlr : c'est une parabole !) et la caractéristique d'une hyperbole, c'est que sur sa partie...
M. le Président – Non, l’hyperbole c’est e2x (ndlr : 1/x est une hyperbole).
M. Barthelet – C’est-à-dire que sur sa partie positive, elle est exponentielle. Qu’est-ce que cela a comme conséquence ? Cela a deux conséquences. Cela veut dire qu’il faut consommer de l'énergie pour pouvoir augmenter cette vitesse, et donc on consommera toujours beaucoup plus en allant plus vite. En sens inverse - et c'est là où on arrive à l'accidentologie, pour dissiper l’énergie, il faut freiner et l'énergie, lors d'un accident, est exponentiellement plus élevée plus on va vite.
M. le Président – Il y a une publicité, en ce moment sur tous les écrans de télé, qui dit: «plutôt que d'avoir des cours d'un pote, prend un bon prof». Je crois que ceci s'adresse à vous en cette matinée parce qu'il y a des approximations dans votre démonstration. On ne va pas les relever par charité républicaine, mais on aurait pu le faire. Mais on a compris le propos.
M. Barthelet – Je finis puisque je suis à la fin de mon temps de parole imparti. Concernant ces pertes-là, on avait le débat sur la confusion et on avait déjà, en 1902, le débat sur la confusion du nombre de limitations de vitesse. Je suis d'accord avec votre proposition de mars 2020 : «revenir aux 90km/heure sur le réseau structurant». Maintenant, on attaque un deuxième chantier qui est le réseau primaire où on a 400km de réseau primaire qui sont identifiés comme tels, mais sur lesquels on en a certains qui vont rester à 80, d'autres à 90. On ne règle pas ce problème qui a été créé par ce manque de concertation et cette décision de l'époque qui est qu’on ne sait plus à quelle vitesse rouler. Du coup, c'est pour cela que je serais personnellement resté avec votre proposition de 2020, donc de rester sur le réseau structurant et de ne pas aller sur le réseau primaire, donc de ne pas passer les nouvelles routes départementales du réseau primaire sur ces 476km-là, de les laisser à 80km/heure. Ceci par clarté. C’est-à-dire qu’en gros, les anciennes nationales, les grands axes, on sait à combien on doit rouler. Pour les autres axes, il n’y a plus de questions à se poser, on roule à 80.
Pour toutes ces raisons, Président, je n'ai pas changé d'avis par rapport à la commission et je ne voterai pas pour ce rapport.
M. le Président – Très bien ! Nous avons entendu votre analyse. Aux approximations près, je pense que certains peuvent se reconnaître dans ce discours. C'est le discours des bobos et vous aurez beau me dire tout ce que vous voulez, il y atout de même une logique, en cette matière, qui relève de l'urbanité et une logique qui relève de la ruralité. Ceux qui utilisent leur voiture tous les jours savent mesurer la pertinence d'une limitation de vitesse. Il y a en effet des endroits où vous pouvez rouler à 90, donc pourquoi vous restreindre à 80, sachant que cette prise de vitesse n'engendre rien puisque chacun est responsable ? Nous ne sommes pas là en train de faire de chacun d'entre nous des chauffards, mais quand vous roulez à 80-90 sur une ligne droite, vous pouvez m'opposer l'histoire du choc frontal avec des lois physiques, mais vous ne me convaincrez pas parce que l'explication principale d’un choc frontal, c’est généralement le téléphone portable et non la vitesse. Et si vous tapez à deux à 80, cela ne fera guère moins de dégâts qu’à 90. Par contre, la raison pour laquelle les gens se sont trouvés dans cette situation-là, ce n'est pas la vitesse, c'est généralement l'utilisation du portable ou un comportement qui a réduit la vision de la route. On est donc loin d'une problématique de vitesse. Mais qu’importe, je ne veux pas entrer dans ce débat puisque je ne pense pas que le 80km/heure ait apporté des résultats concluants en termes d'amélioration de l'accidentologie. Je crois que c'est pour un confort de nos administrés que nous proposons cela et je tiens à le répéter. La loi n'a pas été modifiée de la meilleure des manières. On aurait pu travailler sérieusement sur la problématique de la vitesse, mais en agissant différemment. En concertation avec le Département, avec ceux qui connaissent particulièrement bien les routes, c’est-à-dire les services des routes des Départements, on aurait pu avoir, pour le coup, une réflexion vraiment intéressante. Je crois que la vraie sécurité, c'était lorsqu’on passait de 90 à 70 sur les zones qui étaient réputées dangereuses et le 70 prévenait en amont les personnes qu’elles allaient justement se trouver dans une phase difficile. Après, chacun fait comme il l'entend, Monsieur Barthelet. Le vélo, je m'excuse, mais quand vous habitez Loulle et que vous devez aller au travail à Champagnole, c’est bien sympathique ! C'est peut-être sympathique pour aller parce que là, pour le coup, il y a une belle descente, mais pour le retour, c'est bien moins sympathique. Et s'il pleut, s'il neige, etc. Et il faut encore avoir le temps de faire du vélo. Vous avez la chance d'avoir un employeur sympathique qui vous laisse le temps de faire vos déplacements à vélo.
Est-ce qu’il y a d'autres réflexions sur le sujet ? Monsieur Barthelet,  je crois que vous avez épuisé l'argumentaire. En tout cas nous, vous nous avez épuisés.
Vitesse inadaptée, première cause de mortalité routière
M. Barthelet – Rapidement. C’est juste factuellement. L'Observatoire – puisqu’on avait décidé, en 2020, de faire un observatoire des routes des accidents -, en 2019-2020, les accidents mortels : 39% vitesse inadaptée, 39% conduite à gauche. En effet, le téléphone ou ce qui fait déporter le véhicule est parmi les premières causes d'accidents mortels, mais la vitesse inadaptée, c'est la même chose. Sur le nombre d'accidents mortels, je ne sais pas, c'est pour cela que je ne l'ai pas dit tout à l'heure, mais en 2016, on avait 29 morts, en 2017 : 31 morts, en 2018 : 11 morts, en 2019-2020 : 15 morts. Il y a d'autres éléments, on ne fait donc pas de corrélation. Mais en tout cas, sur la vitesse inadaptée, on n’enlèvera pas que c'est 39% des accidents mortels.
M. le Président – Mais vitesse inadaptée ne veut pas dire de 80 à 90.
M. Barthelet – On est bien d'accord et ce n'est pas ce que j’ai dit.
M. le Président – Celui qui arrive à 70 dans une épingle serrée, il peut voler.
M. Barthelet – Et ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. C'est juste que comme vous avez dit que la première cause de mortalité, c'était le téléphone, ce n'est pas le cas.
M. le Président – Généralement, les accidents où la vitesse est inadaptée sont liés à une alcoolémie positive trop importante et derrière, le gars n’était pas à 90, mais à 120. C'est pour cela qu’on a vraiment un faux débat sur ces problèmes-là. C'est pour cela que je crois que cette proposition est très équilibrée et très maîtrisée. Je remercie donc encore les services d'avoir fait ce travail parce qu’on va justement aller argumenter devant la commission avec le même sérieux qu'on l’avait fait lors de la première rencontre lors des 350 premiers kilomètres. Y a-t-il d'autres questions sur le sujet ? D’autres remarques ? Monsieur Bréro.
M. Bréro – Oui Président. À chacun ses philosophes. Je vais citer un philosophe du XXIe siècle qui va être très connu des collégiens du premier étage, du plateau, des deux; je vais citer Orelsan. Je vais essayer d'être simple et basique. Aujourd'hui, de quoi parle-t-on? On parle de liberté de mouvement et de responsabilité. Aujourd'hui, pourquoi continuerait-on à pénaliser des Jurassiens qui n'ont pas demandé que l’on repasse, il y a quelques années, de 90 à 80 sans consultation des élus locaux ? C'est la première chose. Deuxièmement, on parle de réseaux qui sont parfaitement sécurisés. Je vous appelle à regarder les taux d'accidentologie de ces zones-là. Troisièmement, on parle d’un réseau de 350+150=500. Simple, basique. Nous avons 3500km de routes dans le Jura. Ensuite, la consommation. J'ai fait un test. Vous allez me dire que je n'ai que cela à faire, que j'ai aussi un très bon employeur. Je me suis mis sur une route droite en rentrant, entre Dole et Lons, il y a 2 jours. J'ai une Skoda. Chacun fait ce qu'il peut avec sa voiture. Boîte automatique. Je me suis mis à 80km/heure, j'étais à 6,2 litres. Je me suis mis à 90km/heure, j'étais à 5,7 litres. C'était plat, ça ne montait pat, ça ne descendait pas, mais il faudrait tout de même qu'on regarde aussi les études, mais je pense que sur certains moteurs, notamment les moteurs dits modernes et avec beaucoup de boîtes automatiques, on consomme plus à 80km/heure en faisant forcer le moteur qu’entre la 6ème et la 7ème vitesse à 90. Concernant l’esprit du temps que vous avez cité, Monsieur Barthelet, cher Thomas, on est dans un Jura où les gens roulent. On a des routes départementales. On est dans un endroit où les gens pédalent. On a les véloroutes. On est dans un endroit où lesgens marchent. On gère le PDIPR, plus de 5000km de sentiers dans le Jura, compétence du Département. On est dans un endroit où les gens pagayent, où ils font de l'escalade, où ils font du rafting, ça s'appelle le PDESI, compétence du Conseil départemental. On est dans un endroit aussi où les gens sont responsables. On parle de vitesse maximale autorisée. Monsieur Barthelet, si vous voulez rester à 80, vous restez à 80. Moi, à 80km/heure, j'ai les camions qui me talonnent sur la route. Cela s'appelle donc aussi la responsabilité et la sécurité. Pour toutes ces raisons, à chacun ses philosophes, mais je pense que l'esprit du temps est au modernisme, à la modernité et le modernisme et la modernité, c'est de faire confiance aux Jurassiens, au bon sens jurassien, en concertation avec les services qui sont les nôtres. L'accidentologie a été relevée. La consommation est telle qu'elle est aujourd'hui. Simple, basique, mais je vais voter pour cette délibération pour toutes ces raisons. Vive Orelsan et merci Président.
M. le Président – Merci. On a les philosophes que l’on mérite ! Y a-t-il d'autres interrogations ? Le débat a déjà été en partie mené lors de la commission. Je vous propose donc, mes chers collègues, de vous prononcer sur cette évolution de notre limitation de vitesse sur une partie du réseau primaire, avec le retour à 90km/heure. Sur cette proposition, qui est contre ? Qui s'abstient ?
Merci de cette quasi-unanimité. Si vous voulez vous manifester avec joie et bonheur, qui est pour ? C'est parfait ! Nous irons donc en commission fort de ce résultat.

Vote

Pour 31
Contre 1
Abstention 1